« Il n’y a pas de honte à être pauvre »

Invité d’honneur de la rentrée académique 2021 de la HERS, au côté de Christine Mahy, Jean Furtos, fondateur de l’Observatoire national des pratiques en Santé mentale et précarité de Lyon, jette un regard lucide sur notre société.

Jean Furtos, dans votre exposé, vous évoquez la pauvreté et la misère. Quelle différence y-a-t-il entre ces deux fléaux ?

La pauvreté est une définition statistique. Le pauvre est celui qui a moins de 60% du revenu médian même si cela varie d’un pays à l’autre. Dans certains cas, des gens s’en sortent, d’autres pas. La pauvreté reste quelque chose de relatif. Sous Louis XIV, on était pauvre si on n’avait pas une miche de pain par famille et par jour. La misère, c’est, « je crève de faim, les enfants ont de gros ventres ». On ne peut pas vivre alors qu’avec la pauvreté, on peut vivre, certes difficilement mais on vit. La pauvreté est stigmatisée actuellement car nous sommes dans une société de riches où il faut avoir de l’argent. Il n’y a pas de honte à être pauvre sauf que ce devient de plus en plus difficile car il y a de plus en plus d’objets de consommation qui sont à notre disposition.

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A côté de ces deux notions, vous mentionnez également la précarité ?

Je dirais même les précarités. La bonne précarité vient du fait que je sais que je ne peux pas vivre sans l’aide des autres. Que je sois vieillard, malade ou professeur, je ne peux pas vivre sans l’aide des autres. La mauvaise précarité, c’est je ne demande pas parce que je n’ai plus confiance. Cela casse la confiance en moi mais aussi envers les autres. J’ai peur de perdre le peu que j’ai. Par exemple, quand on licencie des gens dans une entreprise, les autres se demandent « à quand mon tour ?». Ils sont toujours présents mais dans leur tête, ils sont virés, c’est un exemple de la mauvaise précarité. Les sociétés pauvres n’ont pas cette obsession, elles peuvent à la limite être ensorcelées mais dans ce cas, il s’agit d’une peur.

Aujourd’hui, l’argent est omniprésent et parasite notre vie. Vous allez même jusqu’à parler de religion de l’argent.

La religion, c’est ce qui donne un sens à la vie . Avec cette religion de l’argent, la vie a une valeur si « on a du fric ». C’est pour cela qu’il y a des personnes qui veulent gagner de l’argent et le fait d’en perdre est vécu comme un drame. Le problème, c’est qu’on est dans un échange de flux monétaire entre les bourses, et vous comme moi, nous sommes des variables ajustables. Ainsi dans les hôpitaux, comme on est très limite sur le plan financier, on insiste sur le nombre de dossiers traités, le nombre de malades,... Si vous vous laissez prendre par cet aspect quantitatif des flux financiers, vous perdez toute disponibilité pour les patients. Je refuse cela. Cette approche n’est pas éthique. La religion est censée unir tous les pays du monde, le problème provient de la transformation des devises fortes et des devises locales. Beaucoup de pays détestent les États-Unis mais ils adorent le dollar. Pourquoi ? Parce que c’est le dieu dollar qui permet d’acheter des armes, de corrompre,… C’est pareil dans tous les pays du monde. Mais quand on n’a plus d’argent, on a l’impression de ne plus être relié, d’être exclu.

 

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